28 sept. 2009

Les asexuels sortent du placard et trouvent une communauté

Asexuals leave the closet, find community
Demian Bulwa
San Francisco Chronicle
24 août 2009


N'étant pas attirée par les garçons, Cathy Roberts s'est dit à l'adolescence qu'elle était timide. A l'université, elle s'est dit qu'elle n'était pas prête. Plus tard, quand un thérapeute l'a persuadée d'entreprendre un chemin vers la découverte du sexe, elle n'a pas voulu faire les exercices les plus timides. Ce n'est qu'à la quarantaine qu'elle a conclu qu'elle était asexuelle, simplement pas intéressée par le sexe, et n'assimilant pas le sexe à l'amour.

Cathy Roberts a ainsi émergé de plusieurs années de confusion. Et en juin, elle a défilé avec deux douzaines d'autres asexuels lors de la Pride de San Francisco.

C'était un coming out inhabituel : à un événement qui célèbre le sexe dans tous ses aspects, un groupe déclare son intention de n'en vouloir aucun.

Cette action montre combien une identité sexuelle est vitale pour l'estime de soi. Mais l'émergence publique des asexuels suscite des interrogations auprès des chercheurs spécialisés dans la sexualité, concernant l'identité sexuelle, ainsi que le lien entre les sentiments, que de nombreux asexuels ressentent, et l'attirance sexuelle.

"Nous ne sommes pas détraqués"

"Cela pose question sur la nature de l'amour", dit Anthony Bogaert, un sexologue de l'Université de Brock dans l'Ontario, au Canada, qui a estimé la prévalence de l'asexualité en 2004 à partir d'une étude sur des Britanniques, dont 1% a rapporté ne s'être jamais senti attiré sexuellement par quiconque.

David Jay, un résident de San Francisco âgé de 27 ans, explique : "Nous avons besoin de savoir que nous ne sommes pas détraqués. Toute ma vie, on m'a dit qu'on a besoin de sexe pour être heureux".

La Pride était une étape importante pour Jay, un étudiant à la Presidio School of Management. 9 ans auparavant, il avait créé AVEN, en tant qu'adolescent qui n'arrivait pas à comprendre pourquoi tout le monde sauf lui était si déterminé à perdre sa virginité.

Etre respecté

Jay et la communauté asexuelle sur Internet, qui comprend 30.000 membres dans le monde entier, ne cherchent pas à créer de nouveaux droits civiques. Ce qu'ils veulent, c'est être respecté dans une culture obsédée par le sexe.

L'asexualité n'a été qu'occasionnellement étudiée, mais les quelques chercheurs qui l'ont examinée de près ces dernières années disent qu'elle peut être une identité sexuelle similaire aux identités hétérosexuelle, bisexuelle ou gay.

Le docteur Lori Brotto, une experte en sexualité à l'université de Vancouver, Canada, se disait extrêmement sceptique concernant l'existence de l'A comme orientation sexuelle. Mais en 2007, en étudiant les membres de l'AVEN, elle a découvert non seulement un désir sexuel bas, mais également peu de détresse à ce sujet, parmi ces personnes, contrairement aux personnes ayant des dysfonctions sexuelles et qui cherchent un traitement pour les guérir.

Récemment, Brotto a projeté des films érotiques à une quarantaine de femmes parmi lesquelles, des asexuelles, des hétérosexuelles, des lesbiennes et des bisexuelles. Les réactions physiologiques mesurées lors de ces projections sont identiques chez toutes ces femmes, démontrant qu'il ne s'agit pas d'une dysfonction sexuelle, mais bien d'une question d'orientation sexuelle.

Certains asexuels sont sentimentalement hétéro, gay ou bi, et certains n'ont pas d'attirance sentimentale. Ils sortent ensemble, ou ont des rendez-vous avec des "sexuels", tentant de trouver un compromis au lit.

Cathy Roberts est inquiète de ne pas trouver quelqu'un avec qui vieillir. "Pour moi, elle devra être asexuelle et lesbienne, et ensuite il y a le problème de la compatibilité".

Pas de culture commune

La naissance du mouvement asexuel a été aussi difficile par absence de marqueurs culturels comme ceux mis en avant par la communauté gay (codes vestimentaires ou bars où se retrouver, par exemple).

C'est dans ce contexte qu'interviennent Internet, grand unificateur de groupes obscurs, et David Jay, jeune, charismatique et beau garçon, un homme qui pourrait trouver avec qui faire l'amour s'il le voulait.

Jay se souvient de sa solitude en tant qu'adolescent, qui l'a poussé à chercher le terme "asexuel" sur le Web. Il n'a trouvé que des recherches sur les amibes. Il a lancé AVEN et se souvient du premier asexuel l'ayant contacté : "Nous avons eu une discussion longue et intense, à parler de toutes ces choses que personne d'autre ne pouvait comprendre".

Jay aime à penser que les relations non-sexuelles sont aussi gratifiantes et stimulantes que les relations sexuelles.

Il y a d'autres signes de cet élan dans l'importance que prend la communauté asexuelle. Bogaert est en train d'écrire un livre sur l'asexualité, une maison de production new-yorkaise a un documentaire en projet, et en Nouvelle-Zélande, une sitcom met en scène le premier personnage asexuel clairement identifié de la télévision.

Les membres d'AVEN ont un but concret : modifier le DSM lors de sa prochaine parution en 2012 pour qu'il soit clair que l'asexualité n'est pas un "trouble du désir sexuel hypoactif".

Intimité

Le but premier du mouvement, cependant, est d'atteindre des gens comme Bridget Rodman, une étudiante de 19 ans de San Francisco, qui a parfois des béguins pour des femmes mais aucune envie de coucher avec elles, ce qui pendant des années l'a fait se sentir inutile, même suicidaire. En novembre, celle-ci a découvert le site web d'AVEN, qui la décrivait de façon si précise qu'elle en a pleuré devant son écran.

Avec la découverte est venu le changement. Elle peut désormais être honnête avec les autres, elle peut expérimenter l'intimité et enfin vivre pleinement.

30 août 2009

Des asexuels à la Pride

Asexuals at the Pride Parade
Anneli Rufus
Psychology Today
22 juin 2009

Anneli Rufus est une journaliste et auteur américaine qui publie dans des journaux comme le San Francisco Chronicle, le Boston Globe ou des médias en ligne comme Salon.com. Elle a écrit Party of One: The Loners' Manifesto, un livre sur les aspects positifs de la solitude.

* * *

Des asexuels à la Parade mettent la société au défi d'accepter leur absence de désir sexuel.

La Pride de San Francisco est sauvage, exubérante – et il s'agit de sexe. Comment cela pourrait-il en être autrement ? La Pride parle de la chair, de pratiques, de partenaires et de passions. C'est la raison pour laquelle ces dizaines de personnes défilant vont des lesbiennes à motos aux dominés SM en passant par les chrétiens gay, etc.

Il est donc intéressant que cette année, pour la première fois, un groupe asexuel défile à la Pride de San Francisco.

Les asexuels sont un sous-ensemble culturel dont on entend rarement parler au sein de notre moderne tour de Babel hypersexualisée et mondiale. Je n'avais jamais entendu parler de ce sous-groupe ou réfléchi à cette notion avant de lire l'interview d'asexuels britanniques dans l'Independent.

A quoi cela ressemble-t-il d'être asexuel dans un monde occidental obsédé par le sexe et l'identité ? L'obsession sexuelle de la société leur dit en gros de se taire et d'avoir honte. Cependant l'obsession identitaire de la société leur dit de défiler et de se manifester.

Un asexuel ne ressent pas d'attirance sexuelle, explique Shawn Landis, qui a commencé à écrire des infos sur les asexuels dans le San Francisco Examiner, "après une discussion avec un rédacteur en chef" sur la notion "que l'asexualité n'était pas un problème nécessitant des soins médicaux ou psychiatriques". Landis espère aider à "éclaircir la perplexité suscitée par la découverte que certaines personnes ne souhaitent tout simplement pas avoir de relations sexuelles".

D'après lui, les Gay Prides ne sont pas les premiers endroits où on penserait trouver des asexuels défiler. Certains asexuels se retrouvent dans l'étiquette LGBT (1) tandis que d'autres non, mais la communauté asexuelle souhaite que son orientation soit reconnue. L'inclusion d'asexuels dans la Pride est historique, Landis espère que davantage de gens vont avoir conscience de ce relativement petit segment de la population, et que l'opinion, selon laquelle les gens qui ne sont pas intéressés par le sexe souffrent de problèmes médicaux ou psychologiques, finira par être ainsi moins répandue.

La présence d'asexuels à la Pride de San Francisco va être un test de la tolérance de la société en général. Accepter l'idée d'une sexualité entre personnes du même sexe est difficile pour certains. Accepter le mariage gay également. Idem pour la sexualité en groupe, et toutes sortes d'autres pratiques comme le sadomasochisme.

Mais tolérer l'absence d'envie de sexe ?


(1) Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transsexuels


9 févr. 2009

Sans sexe, merci, nous sommes asexuels - The Guardian, octobre 2004

No sex please, we're asexuals
Tim Radford
The Guardian - Londres, GB
14 octobre 2004


Le journal britannique revient dans ses pages scientifiques sur la parution de l'article du New Scientist et son information principale : de plus en plus de gens réalisent que le sexe n'est pas leur tasse de thé.

L'auteur poursuit en précisant que l'asexualité ne doit pas être confondue avec l'abstinence. Les voeux de chasteté des moines et nonnes signifient qu'ils choisissent de réprimer ou sublimer leurs désirs sexuels. L'asexualité n'est pas non plus de l'impuissance. Le succès du Viagra suggère que pour beaucoup d'hommes, ils le feraient s'ils le pouvaient. De même, les adeptes du "pas avant le mariage" ont choisi la virginité seulement en dehors du mariage.

Pourtant une nouvelle classe fait de plus en plus parler d'elle, ceux qui sont "contents d'être A" et qui déclarent n'avoir aucune envie de sexe. On suggère que cette sexualité du non-non pourrait être aussi répandue que l'homosexualité. Il est vrai que jusqu'ici, ceux qui n'avaient pas envie de sexe avaient tendance à demeurer discrets.

Des forums Internet comme ceux d'Aven (Asexual Visibility and Education Network - Réseau pour la visibilité et l'information asexuelles) sur asexuality.org encouragent ces partisans du non à faire entendre leur absence de passion sexuelle. Ils peuvent être pourvus de libido et ressentir de l'excitation sexuelle, mais ils ne ressentent pas le besoin d'interagir sexuellement avec les autres.

L'article cite les exemples d'un vétéran de la Marine US, de Virginie, Brian, ou d'un étudiant, Pete, selon lequel les sensations ne sont pas mentalement connectées pour être suivies par une action quelconque.

Des tentatives d'explication sont avancées (libido basse, sensibilité, distanciation, stress) mais quoi qu'il en soit, l'absence de désir sexuel est bien une réalité pour des milliers de personnes. Et l'article de conclure en citant les t-shirts d'Aven : "L'Asexualité n'est plus seulement pour les amibes".